Témoignage de Bertrand Prevost : « Aujourd’hui je me demande davantage « qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait qui ne lui a pas permis de s’intégrer ? »
Publié par Ombelliscience -, le 17 octobre 2025
Bertrand Prévost est médiateur scientifique chez Ombelliscience. Dans le cadre de sa participation au programme « Sciences pour Toutes et Tous » coordonné par Ombelliscience, l’association l’a interviewé au sujet de sa démarche et son cheminement pour aller vers davantage d’inclusion dans ses pratiques professionnelles.
Raphaël Degenne (RD) pour Ombelliscience : Pouvez-vous présenter votre mission en quelques mots ?
Bertrand Prévost (BP) : Ma mission au sein d’Ombelliscience se décompose en 2 parties. La première consiste à faire vivre un fonds régional d’outils pédagogiques pour la médiation scientifique et la deuxième consiste en l’animation de séquences de médiation scientifique principalement avec des élèves en milieu scolaire ou des stagiaires. Dans le cadre du dispositif régional « PEPS » (Parcours d’éducation, de pratique et de sensibilisation à la culture), j’interviens dans les établissements d’enseignement secondaire au sens large, c’est-à-dire les lycées et les centres de formation type CFA, lycées agricoles, lycées professionnels… En tant que médiateur scientifique, j’accompagne des élèves à réfléchir d’une manière scientifique autour d’une thématique et je leur apporte un certain nombre de connaissances au sujet de l’impact du dérèglement climatique à la fois sur les milieux naturels et sur les métiers qu’ils vont exercer. L’enjeu n’est pas juste de débattre en mode « café du commerce » mais de construire un raisonnement pour développer la compréhension scientifique d’une thématique.
RD : C’est quoi pour vous l’inclusion en général ?
BP : Clairement cela veut dire ne pas exclure ou exclure le moins possible. Ce que cela veut dire pour moi dans la pratique c’est avoir une attention particulière à ce que je peux dire, transmettre ou véhiculer pour que ça puisse être compris par le plus de monde possible dans mes groupes d’intervention. Je dois essayer de voir ce que les élèves sont capables d’appréhender pour essayer de les pousser un cran plus loin.
« Je ne fais pas de différence de genre ou de milieu social. Pour moi l’important est que chaque personne puisse s’approprier un sujet scientifique et des connaissances indépendamment de qui elle est.»
Si moins de 80% d’une classe n’a pas compris ce que j’ai expliqué cela veut dire que je n’ai pas amené les choses de manière qu’elle ait envie d’apprendre, cela veut dire que la façon de leur transmettre les choses ne colle pas… et cela m’est déjà arrivé.
RD : Selon vous, les sciences sont-elles naturellement inclusives ? Pourquoi ?
BP : Clairement : non.La science n’est pas inclusive car ce sont des choses complexes qui demandent des bases que tout le monde n’a pas. C’est une méthode de raisonnement qui est spécifique et qui n’est pas la plus fréquente au quotidien. Pour moi, la science peut être très « cryptique », je veux dire par là que certaines connaissances sont des savoirs gardés jalousement.
« Posséder des savoirs que les autres n’ont pas est une manière de se sentir « au-dessus ». Il y a toujours une notion d’élitisme liée à la science, c’est aussi lié à la sélection dans le cadre scolaire. Si tu es bon en sport ou si tu es bon en sciences, tu n’es pas classé·e pareil. »
Les sciences sont aussi très cloisonnées. Certains milieux scientifiques sont très fermés et il n’est pas facile d’y rentrer. A titre personnel, j’ai eu le sentiment d’entrer dans le monde scientifique, c’est-à-dire d’être considéré comme scientifique, lors de mon année de Maitrise à l’Université.
RD : Avant vos expérimentations dans le cadre du programme "Science pour toutes et tous" d’Ombelliscience, quels étaient concrètement les freins observés ?
BP : L’un deux freins majeurs pour moi, était ma méconnaissance du sujet de l’inclusion. Pour moi cela concernait les personnes en grande précarité socio-économique ou les personnes racisées pour l’accès au travail mais je ne me sentais pas concerné. Le deuxième frein était de ne pas nommer le phénomène d’exclusion. Ne pas nommer le phénomène en tant que tel lui donnait moins d’importance parce que c’était un juste un élément à prendre en compte dans mon travail mais pas un facteur prédominant dans mon activité. Je n’utilisais d’ailleurs pas le mot d’inclusion mais plutôt la notion « mise à niveau. » Lorsqu’un phénomène d’exclusion pouvait exister dans l’une de mes actions de médiation scientifique, je ne me posais pas la question « pourquoi cela ne lui a pas plu ». A priori je considérais que c’était l’élève ou la personne qui en était responsable et pas moi.
« Aujourd’hui je me demande davantage « qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait qui ne lui a pas permis de s’intégrer ? »
RD : Au sein de votre structure, quel a été le premier pas concret pour être dans une démarche plus inclusive ?
BP : Le premier pas a été difficile. Ça a été le démarrage du programme SPTT. J’avais fait des choses avant mais que je n’identifiais pas comme un travail sur l’inclusion. La première question qui m’est venue à l’esprit, c’était dans ma mission de diffusion des expositions scientifiques itinérantes : « est-ce que je touche tous les publics ? est-ce que je peux qualifier les publics ? est-ce qu’il existe des publics exclus ? ». A l’époque j’avais une envie beaucoup trop ambitieuse de cartographier tous les publics pour pouvoir comparer ceux que je touchais et ceux que je ne touchais pas. Je me suis cassé les dents sur la question « c’est quoi un non-public ? », puisque je ne le connais pas. J’étais plutôt dans une approche comptable de chiffrage, de fournir des données. Cela a été une désillusion mais cela m’a aussi permis de prendre conscience de la difficulté et d’identifier à quelle échelle je peux agir personnellement. Là où j’avais le plus de possibilités pour tester de nouvelles pratiques, c’étaient les groupes scolaires des parcours PEPS. Je faisais des médiations sur une méthodologie qui ne fonctionnait pas mal mais à propos de laquelle je ne me posais pas la question de savoir ce que mon public attendait. Je me comportais comme un professeur qui apporte des connaissances mais je ne me préoccupais pas tant que ça des techniques de transmission des connaissances. Aujourd’hui je m’interroge davantage sur la façon de proposer une expérience de médiation scientifique qui corresponde davantage aux envies de mes publics et je m’adapte plus à leurs besoins et leurs attentes. Je fais plus de « participatif », j’utilise davantage de méthodes de l’éducation populaire et je m’aperçois que ça fonctionne mieux, que j’ai plus facilement l’adhésion du groupe. C’est aussi le cas pour le choix des sujets et des modes de restitution de projets éducatifs : avant c’est moi qui imposais les sujets de rendus dans les restitutions ; maintenant je vois groupe par groupe de quoi ils ont envie de parler, à qui ils souhaitent s’adresser et comment ils sont envie de le dire ? (Par exemple en format tik-tok ou dans un rap, un podcast ou tout autre format). Avant je cadrais beaucoup, maintenant je laisse davantage le choix.
RD : Que vous a apporté l’accompagnement et le collectif de professionnel·les qui se forment à vos côtés dans le programme "Science pour toutes et tous" ?
BP : Pour moi, ce programme a été principalement une boîte à outils. On a parlé de publics que je ne connais pas ou peu. Moi, je travaille avec des classes donc des personnes qui sont obligées d’être présentes. Je n’ai pas les même problématiques qu’un centre social, un tiers-lieu ou une médiathèque ou même un musée de Sciences dans lequel les publics viennent de façon volontaire. Je travaille avec des publics déjà « captifs » donc je ne peux pas appliquer les mêmes recettes mais je pioche des idées à droite et à gauche. Quand je discute de ce que je fais, il y a toujours des personnes qui me disent « pourquoi tu n’as pas fait ça ou pensé à ça ? » Il y a beaucoup d’informel grâce à l’interpersonnel. Ça fait beaucoup progresser mes idées, ma façon de penser la médiation dans les projets. Par exemple les « débats mouvants » sur des questions autour du dérèglement climatique pour savoir ce qu’en pensent les gens, c’est un outil que j’ai découvert dans le cadre de Sciences pour toutes et tous (SPTT). L’outil d’évaluation « la machine à laver, la poubelle et la valise » me permet de collecter des données plus facilement sans donner l’impression aux personnes qu’elles sont notées ou qu’elles font l’objet d’une étude comme avec un questionnaire, ce qui peut rebuter.
RD : Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment… À votre niveau, au sein de votre structure, et au niveau de l’accompagnement proposé par Ombelliscience ?
BP : Je pense qu’il faudrait peut-être imposer dès le début l’outil d’autodiagnostic du « Kadeiloscope ». Je me serais alors probablement rendu compte plus tôt de la difficulté de ma première proposition (rendre les expositions scientifiques itinérantes plus inclusives). Il faudrait que les accompagnants n’hésitent pas à nous dire « tu pars trop loin, tu n’y arriveras pas » pour que je me concentre dès le départ sur quelque chose de très opérationnel et réaliste, quelque chose que je puisse faire facilement dans un premier temps. Moi je me suis emballé sur le périmètre de mon action alors que je ne suis ni sociologue ni statisticien. Aujourd’hui je me sens plus l’aise car je me suis concentré sur une action sur laquelle je suis en mesure d’agir. Il ne faut pas que je pense trop global mais que je sois pragmatique. Je ne vais pas changer le monde tout seul, comme chacun, j’apporte ma pierre.