La pyrolyse, l'idée des chimistes pour mieux recycler les plastiques

Publié par Ombelliscience -, le 4 juillet 2018   20k

Les effets néfastes de notre utilisation massive de plastique sont bien connus : en fin de vie, les matières plastiques se retrouvent trop souvent dans l'environnement, et ce de façon durable.

La lutte contre cette pollution est une problématique complexe comportant de multiples facettes. À l'occasion d'une rencontre avec Sophie Duquesne et Sophie Klaimy à l'Unité Matériaux et Transformations de l'École Nationale Supérieure de Chimie de Lille, Ombelliscience s'est intéressée à la question plus spécifique du recyclage des plastiques. Quelles sont les pistes d'amélioration ?

Pollution plastique : revers d'un véritable succès

Les matériaux plastiques sont constitués de longues molécules appelées polymères, c'est-à-dire de grandes chaînes dont les maillons élémentaires (monomères) se répètent. En fonction du monomère de base, on obtiendra différents plastiques, comme le polystyrène ou le PVC pour citer les plus connus. En dehors de quelques exceptions au rôle encore marginal, la totalité de la matière première pour la production de plastique vient des ressources fossiles (pétrole et gaz), elles-mêmes issues de matière organique (algues, plancton…) stockée dans la croûte terrestre pendant des millions d'années.

Le polystyrène est un assemblage de styrènes obtenu par polymérisation

Le plastique est utilisé de façon massive depuis quelques décennies. Suite à des recherches menées au milieu du XXe siècle, des plastiques de très bonne qualité ont pu être produits à l'échelle industrielle. Si ce sont ses effets néfastes qui concentrent notre attention, on oublie souvent à quel point le plastique nous rend la vie plus sûre et plus simple. Les plastiques sont des matériaux très polyvalents : faciles à manipuler, ils peuvent prendre la forme que l'on désire par simple moulage et offrent des propriétés mécaniques variées en fonction du polymère de base et des additifs utilisés. En prime, ces matériaux sont légers et très bon marché. Le plastique a permis de grands progrès concernant l'hygiène et la sécurité dans l'alimentaire, les emballages hermétiques offrant une protection sans précédent contre les contaminations extérieures et contribuant ainsi à la conservation des produits. De même dans le milieu sanitaire, où il permet la préservation de matériel stérile et des échantillons pour les analyses médicales.

Le plastique a donc connu un succès considérable dans l'ensemble des secteurs industriels, et ce sont bien les conséquences de ce succès qui posent problème aujourd'hui : l'humanité produit plus de 300 millions de tonnes de plastique chaque année, créant des déchets se retrouvant en bonne partie dans l'environnement. Cela engendre une pollution durable car les plastiques se dégradent généralement très lentement en milieu naturel. Comment gérer les gigantesques flux sortants de matières plastiques ?

Valoriser les déchets plastiques : matière et énergie

Historiquement, la mise en décharge fut privilégiée, car simple et peu coûteuse. Certes, les pratiques actuelles sont beaucoup plus responsables qu'autrefois en France (les décharges à ciel ouvert n'existent plus et l'enfouissement respecte des procédures spécifiques), mais en dehors des risques environnementaux, la mise en décharge n'est pas une solution durable puisque les capacités de stockage ne sont pas infinies. L'enfouissement devrait progressivement être interdit dans l’Union européenne.

Une autre solution mise en œuvre est l'incinération des déchets plastiques avec les autres déchets ménagers. L'incinération permet de se débarrasser en grande partie du volume des déchets, et peut s'accompagner d'une valorisation énergétique en récupérant la chaleur issue de la combustion, par exemple pour chauffer des logements. Toutefois, l'incinération produit des émissions de CO2 et des polluants atmosphériques, contribuant ainsi à l'effet de serre et à la dégradation de la qualité de l'air. La valorisation énergétique peut également se faire via la gazéification pour produire des gaz et carburants de synthèse valorisables.

Incinérateur de déchets en région parisienne

"La valorisation énergétique, c'est bien... mais la valorisation matière, c'est encore mieux" rappelle Sophie Duquesne. En effet, dans la hiérarchie des modes de traitement des déchetsla valorisation matière, c'est-à-dire la réutilisation du produit ou le recyclage des matières, est considérée comme préférable à la valorisation énergétique. Notons que le recyclage concerne surtout les polymères thermoplastiquesqui redeviennent déformables quand on les chauffe. Les polymères thermodurcissables, quant à eux, obtiennent une forme définitive lors de la polymérisation initiale et ne sont pas facilement recyclables.

À l'échelle industrielle, on utilise généralement le recyclage "mécanique" basé sur le procédé d'extrusion. Il s'agit de forcer, par compression et à chaud, l'écoulement du polymère à travers une conduite. Principal défaut de ce procédé : la qualité du produit obtenu est souvent moindre par rapport au polymère original, notamment à cause de la présence d'impuretés. De ce fait, le polymère ne pourra pas être utilisé de la même manière ou être lui-même recyclé (on parle parfois de décyclage). Une des activités de recherche de Sophie Duquesne au laboratoire UMET concerne les procédés d'extrusion réactive permettant d'évacuer les impuretés pour obtenir un polymère de meilleure qualité.

Plus récemment, le laboratoire s'est intéressé à un autre procédé de recyclage présentant plusieurs avantages : la pyrolyse.

Pyrolyse : le recyclage par voie chimique

La pyrolyse consiste en une dégradation, ou craquage, des molécules de polymère soumis à une température élevée (entre 300 et 900°C) pour obtenir de plus petites molécules. Le processus se fait en l'absence d'oxygène, contrairement à la combustion lors de l'incinération, et ne produit pas de COou autre gaz toxiques ou polluants. En sortie, la phase liquide obtenue peut être réutilisée pour reformer des polymères.

Four de pyrolyse ouvert, exposant le tube dans lequel transite
l'échantillon de plastiques. Crédit : Sophie Klaimy

Dans les déchets plastiques, les emballages constituent la plus grosse part des déchets produits (40% en Europe) et représentent un vrai gaspillage de ressources, dans la mesure où ce sont des produits à très courte durée de vie. Partant de ce constat, Sophie Klaimy a décidé de travailler dans le cadre de sa thèse sur la meilleure façon de traiter ces déchets. Pour cela, elle a déterminé un modèle de polymères réaliste, c'est-à-dire un mélange représentatif des déchets d'emballages jeté dans nos poubelles (polyéthylène, polypropylène, polystyrène...). Ainsi, un procédé optimisé pour ce mélange dispense d'avoir à trier les déchets en amont.

Billes de résines polymères utilisées
pour modéliser les déchets domestiques

"Le but est de maximiser la part de phase liquide. Pour cela, on utilise la pyrolyse flash : on montre la température très rapidement à 600°C" précise Sophie Klaimy. Pour craquer les molécules sans avoir à monter trop haut en température, un catalyseur est nécessaire.

Structure moléculaire d'une zéolithe.
Image par Yiyi (CC BY-SA 3.0)

Dans l'équipe, on utilise des minéraux appelés zéolithes dont la structure microscopique (voir ci-contre) présente des pores de taille contrôlable. L'objectif de la thèse de Sophie Klaimy est de comprendre comment la taille de ces pores influe sur la sélectivité du craquage, pour déterminer les conditions expérimentales favorisant la phase liquide en sortie. Quant à la phase gazeuse produite, elle peut en principe être utilisée pour fournir une partie de l'énergie nécessaire au chauffage.

Conclusion

En aval du cycle de vie des matières plastiques, des progrès peuvent être obtenus en matière de recyclage, la France ne faisant pas partie des bons élèves en Europe.

Les techniques de pyrolyse, comme d’autres approches par voie chimique, pourraient permettre de pallier en partie les diverses limites du recyclage des plastiques. Hors recyclage, les plastiques biodégradables (à ne pas confondre avec les plastiques bio-sourcés) peuvent avoir un intérêt lorsqu'ils peuvent remplacer les polymères classiques. Des recherches récentes ont également proposé un nouveau polymère facilement dépolymérisable et donc potentiellement recyclable à l'infini, ou encore une enzyme mangeuse de plastique pour lutter contre la pollution.

Toutefois, en attendant que ces promesses techniques se réalisent, il convient de garder à l'esprit que le meilleur déchet demeure celui qu'on ne produit pas. Aussi, la réduction de la consommation d'emballages, ainsi que la réutilisation des produits doivent être la priorité.

Théo Mathurin