Le développement de l'éolien et du solaire exige de rendre le réseau électrique plus intelligent

Publié par Ombelliscience -, le 19 avril 2018   5.6k

La loi de transition énergétique votée en 2015 prévoit d'augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique national. Pour atteindre ces objectifs, un développement important des énergies renouvelables électriques, notamment l'éolien et le solaire, sont prévus et déjà en cours.

Toutefois, leur montée en puissance doit s'accompagner d'une évolution des infrastructures du réseau électrique. Pour comprendre pourquoi, commençons par un détour avec quelques rappels sur l'approvisionnement en électricité.

Des électrons, de l'unité de production au consommateur

Qu'elle soit produite par une centrale nucléaire, un barrage, une centrale à charbon ou encore une éolienne, l'électricité rejoint le réseau électrique pour être transportée à haute tension (mission de RTE) puis distribuée aux consommateurs (mission d'Enedis). Pour garantir le bon fonctionnement du réseau, la production et la consommation doivent être égales à chaque instant, quitte à importer ce qui manque ou exporter le surplus, quand c'est possible. En effet, l'électricité en tant que telle ne se stocke pas, elle doit donc être consommée au moment où elle est produite. Sans même parler de coupure de courant, un écart entre consommation et production induit une variation de la tension et de la fréquence de l'électricité délivrée au consommateur, qui peut s'avérer dommageable pour le réseau et les appareils.

La consommation varie durant la journée : plus basse la nuit et plus haute durant les heures de pointe.
Attention, l'échelle verticale démarre à 40 GW.

La France dispose actuellement d'une bonne qualité de fourniture d'électricité : la durée totale de coupure sur une année a été de 70 minutes en 2016. En dehors de la qualité des infrastructures électriques et de leur gestion, la stabilité du réseau français repose en partie sur le fait que l'essentiel de l'électricité produite, basée sur le tandem nucléaire/hydraulique, est pilotable.

Des "smart grids" pour s'adapter aux usages et intégrer les renouvelables

Des mutations sont attendues côté demande dans l'usage de l'électricité en France, notamment la croissance du parc de véhicules électriques qui risque d'occasionner de nouveaux pics de demande d'électricité. Côté offre, la loi prévoit d'augmenter la part du renouvelable dans l'apport énergétique national (cela ne concerne pas que l'électricité qui représente moins du quart de la consommation d'énergie). Dans la mesure où le potentiel hydroélectrique de la France est déjà bien exploité, les énergies renouvelables prometteuses sont entre autres le bois énergiela géothermie, les biocarburants, le biogaz, la valorisation énergétique des déchets, ainsi que l'éolien et le solaire photovoltaïque.

Pour la production d'électricité, les deux dernières constituent les pistes les plus souvent considérées. Ces deux méthodes de production se distinguent toutefois par leur caractère non pilotable, c'est-à-dire qu'elles produisent de l'électricité non pas quand on en a besoin, mais en fonction de la météo. Ainsi sur le plan technique, l'injection croissante de puissance électrique intermittente complique la mission qui consiste à produire la bonne quantité d'électricité au bon moment.

La production combinée éolienne et solaire peut varier très fortement en l'espace de quelques heures,
au gré de la météo.

Pour compenser les creux de production éolienne et solaire, la stratégie la plus simple consiste à installer des centrales à gaz pouvant rapidement prendre le relais lorsque vent et soleil ne sont pas au rendez-vous. Étant donnés les objectifs de réduction des émissions de CO2, cette solution pose problème tant que le gaz naturel est d'origine fossile : développer les renouvelables au détriment du climat serait un comble. Toutefois, il est possible de rendre le réseau électrique plus intelligent afin de mieux gérer les nouvelles sources renouvelables, notamment par l'intégration de technologies numériques : on parle alors souvent de "smart grids".

Le but est principalement d'optimiser l'adéquation entre fourniture et demande d'électricité, en prenant en compte les mutations des usages et du parc de production. Pour cela, il existe une diversité de solutions techniques à différents niveaux, les principales étant la gestion active de la demande et le stockage. La gestion active consiste à moduler la demande selon la production : les consommateurs sont appelés à réduire leur consommation lorsque la production est faible - on parle d'effacement - et inversement de l'augmenter lorsqu'elle est forte. Ce service rendu par le consommateur peut être contractualisé ou résulter d'incitations tarifaires. Quant au stockage, il s'agit de convertir le surplus d'énergie électrique en une forme d'énergie stockable, et vice-versa quand la production fait défaut. Parmi les diverses possibilités, dans le cadre des smart grids on évoque souvent le stockage par batteries (stockage électrochimique).

Optimisation des réseaux électriques

Notons que les solutions smart grid constituent plutôt des optimisations qu'une révolution. En effet, les astuces citées plus haut existent déjà sous une certaine forme. Certains clients industriels font déjà de l'effacement tandis que chez les particuliers, l'abonnement avec tarifs heures pleines - heures creuses incite à adapter sa consommation. Par ailleurs, le déclenchement automatique des ballons d'eau chaude pendant les heures creuses correspond à une gestion active de la demande. De même, il existe déjà du stockage avec les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) : on fait monter et descendre de l'eau pour consommer ou produire de l'électricité selon les besoins.

Linky apporte des fonctionnalités
utiles pour l'optimisation du réseau.
Image par Ener356 CC BY-SA 4.0

Les compteurs communicants, comme Linky actuellement en déploiement, constituent une brique essentielle des smart grids et de l'amélioration du réseau en général. En effet, la communication en temps réel permet une détection précoce des pannes. En outre, connaître la consommation instantanée est utile pour adapter la production, et maîtriser la consommation. Linky dispose également de fonctionnalités avancées de modulation de la consommation, qui pourront être exploitées à l'avenir dans les offres des fournisseurs d'électricité.

En 2017, RTE a évalué le potentiel des solutions smart grid évoquées plus haut, au sein d'un scénario avec une forte progression de l'éolien et du solaire en France d'ici 2030. Le rapport conclut que le principal avantage à développer des solutions smart grid est de limiter le recours à des centrales à gaz supplémentaires, servant à garantir l'approvisionnement quand il n'y a pas assez de vent et de soleil. Ainsi, cela permet de réduire modérément les émissions de CO2 et les coûts par rapport au même scénario sans solution smart grid. Toutefois, les investissements associés à ces optimisations du réseau, ainsi que leur empreinte environnementale (notamment la fabrication très énergivore de parcs de batteries), doivent être pris en compte dans le développement des énergies intermittentes.

Des initiatives en Hauts-de-France

Le développement de solutions smart grid à l'échelle nationale n'est pas encore d'actualité en France comme ailleurs. Il existe toutefois des initiatives innovantes à des échelles plus locales. En région Hauts-de-France, le projet So MEL, So Connected, porté par la Métropole Européenne de Lille (MEL), est aujourd’hui financé par l'Ademe dans le cadre du Programme d’Investissements d'Avenir. L'objectif est de tester le déploiement de solutions smart grid sur le territoire de la métropole. La direction technique du projet est assurée par Enedis, qu'Ombelliscience a rencontré à l'occasion d'un échange avec Justine Schnéblé, cheffe de projet réseau électrique intelligent.

Le projet, lancé début 2017 pour une durée de trois ans, se décline en quatre axes ou "cas d'usage", couvrant un ensemble de problématiques associées aux smart grids :

  • Développement de l'autoconsommation sur 4 sites non résidentiels sur le territoire de la MEL. Il s'agit là de consommer localement la production solaire installée sur les toitures de plusieurs sites de la métropole (sans passer par le réseau public), ce qui nécessite une communication quasi-temps réel entre gestionnaire de réseau et producteurs.
  • Valorisation d'énergie fatale (chaleur, hydrogène) produits par des activités industrielles de partenaires, et opérations de gestion active de la consommation et d'effacement.
  • Gestion intelligente de la recharge de véhicules électriques sur les bornes de 3 parkings, en fonction de la disponibilité de l'énergie et des contraintes des usagers.
  • Accompagnement de consommateurs en situation de "précarité énergétique" pour une meilleure compréhension et maîtrise de leur consommation.
Visuel du projet So MEL, So Connected.
Crédit photo : Métropole Européenne de Lille

Comme l'illustre ce dernier cas d'usage, les enjeux ne sont pas seulement techniques, mais aussi liés à des attentes sociétales. Le déploiement de ces innovations pose également des interrogations d'ordre économique, comme le précise Justine Schnéblé : "l'enjeu du projet réside dans la détermination de modèles économiques adaptés à la mise en place de ces fonctionnalités à grande échelle, l'idée étant de les généraliser à l'ensemble du réseau".

Conclusion

Il existe donc des solutions techniques permettant d'accroître la contribution des sources non pilotables d'électricité tout en préservant la stabilité du réseau. Toutefois, comme le projet So MEL, So Connected l'illustre, leur mise en place à grande échelle représente un réel défi technique. D'un autre côté, les coûts financiers et environnementaux associés sont conséquents, en particulier pour l'installation des capacités de stockage considérables (par exemple à batteries au lithium) qui seraient nécessaires.

Enfin, l'électricité française étant déjà bas carbone, notons que le développement des renouvelables électriques ne contribue pas a priori à faire baisser les émissions de CO2 du pays. Les investissements associés ne peuvent donc pas se justifier par la lutte contre le changement climatique, mais principalement par la volonté de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité, pour des raisons différentes. Or, les moyens financiers destinés à la transition énergétique étant contraints par les différents budgets des pouvoirs publics, des arbitrages sont nécessaires pour définir les niveaux de priorité entre ces deux objectifs indépendants mais confondus dans la notion de “transition énergétique”. Quelle dépense pour réduire la part du nucléaire dans la production électrique, et quelle dépense pour réduire notre consommation d'énergies fossiles ? Si l’on regarde la réalité des efforts financiers du contribuable français, il semble que la priorité soit donnée à la diminution de la production nucléaire plutôt qu’à la diminution de notre consommation de combustibles fossiles, dont la France tire toujours la grande majorité de son énergie.

Théo Mathurin