Témoignage de Solenn Bihan : « La démarche scientifique est naturellement inclusive car elle essaie de traquer les préjugés et biais de la société pour les déconstruire »

Publié par Ombelliscience -, le 6 octobre 2025

Solenn Bihan est Facilitatrice graphique (dessin en direct avec des groupes) et formatrice au sein de la coopérative de communication « On est bien là ».

Dans le cadre de sa participation au programme « Sciences pour Toutes et Tous » coordonné par Ombelliscience, Solenn Bihan a été interviewée par l’association le 27 juin au sujet de sa démarche et son cheminement pour aller vers davantage d’inclusion dans ses pratiques professionnelles.

Candice Gaudefroy (CG) pour Ombelliscience : Pouvez-vous présenter votre structure en quelques mots et expliquer en quoi elle a un lien avec la culture scientifique ?

Solenn Bihan : Mon activité est de traduire ce que les gens disent en dessin, c’est utilisé comme pratique d’intelligence collective pour faire en sorte que les propos de chacun puissent être retranscrit visuellement avec la même légitimité et importance, et fournir un compte rendu visuel simple et accessible pour des gens qui ne seraient pas à l’aise avec le français ou l’écrit. Le lien avec la culture scientifique est que j’interviens beaucoup sur des projets de médiation/vulgarisation scientifique. Par exemple, pour des chercheur·ses qui doivent communiquer avec leurs pairs : un schéma visuel (synthèse) pour illustrer un article scientifique ou un projet de recherche pour la Fête de la science, je réalise chaque année un reportage dessiné pour faire un compte rendu visuel des ateliers proposés pour le public.

CG : C’est quoi pour vous l’inclusion en général ?

SB : Pour moi, l’inclusion c’est avant tout le contraire de l’exclusion ! Je suis révoltée de voir que l’on puisse exclure des gens de la connaissance pour le simple fait, qu’à un moment donné, ils n’ont pas forcément fait d’études, maitrisent difficilement le vocabulaire… Ils ont tout à fait le moyen de comprendre et ils en ont besoin.

« Pour moi, l’inclusion c’est avant tout le contraire de l’exclusion ! »

J’avais une mère universitaire (qui avait fait des études) et un père autodidacte. J’ai toujours trouvé scandaleux que mon père soit méprisé et mis de côté socialement alors qu’il avait tout à fait les moyens de poser des bonnes questions et de donner son avis.

CG : Selon vous, les sciences sont-elles naturellement inclusives ? Pourquoi ?

SB : Je suis un peu partagée sur cette question. Aujourd’hui on dit beaucoup que les sciences véhiculent des préjugés, par exemple, il a été prouvé que les problèmes cardiaques des femmes étaient moins pris en compte par les médecins car souvent ramenés au facteur psychologique. Je pense pour une part que les sciences sont faites par des humains participant aux biais de la société, et d’un autre côté que la démarche scientifique est naturellement inclusive car elle essaie de traquer ces préjugés et biais pour les déconstruire. Elle s’intéresse à tout. Sur l’aspect du vivant par exemple elle s’intéresse à toutes les espèces en général. Il n’y a pas de hiérarchie entre quelqu’un qui va travailler sur les plantes et insectes, et quelqu’un qui va travailler sur les êtres humains. Tout comme il n’y a pas de hiérarchie entre les hommes et les femmes, les humains et les autres êtres vivants.

CG : Au sein de votre structure, quel a été le 1er pas concret pour être dans une démarche plus inclusive ? Et que vous a apporté le programme "Science pour toutes et tous" ?

SB : Le premier est un projet qui s’inscrit dans le cadre de « Sciences pour Toutes et Tous ». À titre d’expérimentation, l’idée est de créer un outil visuel (un imagier) sur la santé mentale pour les médiateurs à la frontière, tels que les interprètes sur la Côte d’Opale (Calais, Dunkerque, Grand Synthe...). Ces personnes font partie d’associations accueillant les nouveaux migrants (eux-mêmes anciens migrants), ils.elles essaient de leur faciliter les démarches (administratives ou autre), l’accès à des ressources pratiques et au droit.

La difficulté, c’est que les traumatismes et les problèmes de santé mentale constatés chez certains migrants complexifiaient l’accompagnement : il y avait un manque de formation et d’outils pour aborder la question de l’urgence psychologique. Des psychologues, professionnels et enseignants-chercheurs de l’Université de Lille ont ainsi créé des contenus à partir de leurs connaissances scientifiques sur la santé mentale. Et mon rôle est de traduire cela en cartes, en imagier, pour co-construire et tester un outil avec les médiateurs en partenariat la PSM (Plateforme des Soutiens aux Migrants).

Le deuxième pas, c’est la formation-certification « Facile à lire et à comprendre » que j’ai suivie. C’est une façon de rédiger, d’illustrer et de mettre en page des documents écrits pour des personnes ayant une déficience intellectuelle en les faisant tester par les personnes concernées. J’ai fait, par exemple, des schémas d’illustration pour le livret d’accueil d’une clinique.

CG : Que vous a apporté l’accompagnement par Ombelliscience et le collectif de professionnel·les qui se forment à vos côtés dans le programme « Science pour toutes et tous » ? SB : Ça m’a apporté deux choses. La première, c’est de me sentir légitime pour parler d’inclusion. Mais aussi pour oser exiger d’utiliser une démarche de co-construction. Sur le projet de l’imagier, la demande de départ qui m’avait été faite était d’illustrer et mettre en page les contenus rédigés par le groupe de travail de l’Université de Lille, pour être ensuite utilisés par les médiateurs. C’est moi qui ai insisté pour entrer dans ce programme et pouvoir dire « voilà comment j’envisage personnellement de co-construire avec les médiateurs ».

« L’échange avec les autres permet vraiment de prendre du recul et trouver des solutions auxquelles je n’aurai pas pensé.»

Sur la démarche, cela m’a permis d’oser affirmer ma façon d’être inclusive, parce que j’ai été formée et parce que je fais partie d’un réseau. Et enfin, lors du dernier regroupement, on avait un temps d’échange sur nos problématiques spécifiques de terrain. J’ai posé un problème, me tracassait, et 3 personnes ont échangé avec moi, m’ont aidé à prendre du recul et à trouver une solution. L’échange avec les autres permet vraiment de prendre du recul et trouver des solutions auxquelles je n’aurai pas pensé.

CG : Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment… À votre niveau, au sein de votre structure, et au niveau de l’accompagnement proposé par Ombelliscience ?

SB : Sur le début du programme, je trouvais que l’on était beaucoup entre nous, et peut-être pas assez ouverts à des acteurs venant du social et de proximité sur l’inclusion. Mais en fait sur la dernière année ce point a bien évolué, ça a été entendu et résolu.

« Concrètement ce qui va m’aider à développer sur le terrain, c’est parler avec d’autres gens du groupe. »

Sinon, qu’il y ait davantage de temps d’échange lors des regroupements, un équilibre à trouver par rapport aux intervenants extérieurs et ateliers. Ces temps pratiques vont enrichir ma culture et me donner des outils, mais concrètement ce qui va m’aider à développer sur le terrain, c’est parler avec d’autres gens du groupe. C’est une question d’équilibre, c’est assez subtil, mais ce que je veux dire c’est de privilégier les temps d’échange lorsque l’on se regroupe et les apprentissages avec les intervenants extérieurs un peu plus en distanciel.

CG : Un point à ajouter ?

SB : Le fait que l’on capitalise tout ce que l’on a fait sous forme d’un livrable. À ce point, je trouve que pour acculturer d’autres personnes de ma coopérative à ce projet-là, je manque de supports et d’outils de livrables vulgarisés/d’un niveau plus simple. Sans outils concrets, j’ai du mal à partager au-delà de mes collègues. Cela nous permettrait au contraire d’être des « ambassadeurs » de l’inclusion auprès des autres collègues et partenaires.

Photo © Maroussia Gitel